Ski

🇹🇭 Raid à ski Oberland

La traversée de l'Oberland à ski, un raid splendide au milieu de géant de glace et colosses de pierre. Mais cette année, la météo en a décidé autrement...
Par Baptiste
Le 06/05/2024
Raid à ski - Traversée de l'Oberland à ski - Jungfraujoch
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Face au mauvais temps qui s’annonce, je propose au groupe d’arriver dans le massif de l’Oberlan par le haut, pour essayer d’optimiser le cours crĂ©neau mĂ©tĂ©o que nous avons. PlutĂŽt que de perdre la journĂ©e Ă  remonter le plat sans fin du glacier d’Aletsch, nous dĂ©cidons de prendre le train depuis Brig jusqu’Ă  Grindelwald, puis l’Eiger Express et enfin le train Ă  crĂ©maillĂšre jusqu’au Jungfraujoch. Le ski est plutĂŽt mauvais lĂ  haut, dans une neige lourde transformĂ©e par le foehn. La visibilitĂ© est moyenne, nous ne parvenons pas Ă  atteindre le Louwitor ni le GrĂŒnhornlĂŒcke un peu plus tard dans l’aprĂšs midi. C’est donc une randonnĂ©e sans point haut, une promenade de dĂ©couverte des immenses glaciers de l’Oberland. La visibilitĂ© est rĂ©duite, les couleurs ternes et grises, l’ambiance glauque quasi dĂ©primante. Mais nous avons tout de mĂȘme pu avoir un aperçu de la grandeur de ce massif. Nous finissons la journĂ©e par ces escaliers raides, jusqu’au KonkordiahĂŒtte.

La journĂ©e de mercredi encore annoncĂ©e correcte le matin deux jours plus tĂŽt, a Ă©voluĂ© vers une prĂ©vision au mauvais mardi soir. La fuite du massif s’est donc imposĂ©e Ă  nous, avec encore deux options. La premiĂšre via le LötschenlĂŒcke pour descendre sur Blatten, Ă  l’ouest, et se donner l’impression d’avoir fait a minima une micro-traversĂ©e au plus simple de l’ouest du massif. La seconde, le plan de secours, descendre le glacier d’Aletsch (plus long glacier d’Europe !), traverser un tunnel Ă  l’entrĂ©e enfouie sous la neige, sortir versant Fiescheralp, puis descendre en vallĂ©e par les bennes. Au rĂ©veil Ă  5h, pensant encore pouvoir exploiter un hypothĂ©tique crĂ©neau matinal de beau temps, nous dĂ©couvrons au contraire les montagnes prises dans la poisse, un fort vent qui souffle et de la neige qui tombe. Au loin le LötschenlĂŒcke a disparu dans les nuages. Nous optons sans objection ni doutes pour le plan de retraite par Fiescheralp. AprĂšs 7 kilomĂštres d’ultra plat, nous sortons du glacier, remontons un peu un vallon et trouvons le trou de marmotte qui donne accĂšs Ă  la porte enfouie du tunnel. Un kilomĂštre de marche sous terre Ă  la frontale, et nous voilĂ  de l’autre cĂŽtĂ©. Encore un peu de peau Ă  plat pour rejoindre Fiescheralp, oĂč nous trouvons malheureusement les remontĂ©es fermĂ©es et le village-station fantĂŽme ! Nous continuons donc notre traversĂ©e des balcons jusqu’Ă  Bettmeralp oĂč nous retrouvons la vie humaine, et une remontĂ©e mĂ©canique en fonctionnement pour rejoindre la vallĂ©e. Liaison benne-train immĂ©diate et nous voilĂ  de retour Ă  Brig. Nous poursuivons notre fuite en allant se rĂ©fugier Ă  Chamonix, oĂč nous allons tĂącher de sauver la fin de semaine.

" Et encore mille fois merci, d’avoir sauvĂ© notre balade. "

C’est sur ce dernier message reçu que je peux reprendre la plume concernant les derniers jours de notre raid dans l’Oberland. Ou plutĂŽt ce qu’il en restait ! Souvenez-vous, au chapitre prĂ©cĂ©dent, nous fuyions le massif par le bas en redescendant le glacier d’Aletsch. Mardi soir, nous arrivions dans un Chamonix gris, pris par la pluie.

Nous banalisons la journĂ©e de jeudi, bien trop mauvaise pour imaginer s’aventurer en montagne. J’occupe le temps libre de la matinĂ©e par une sĂ©ance collective d’escalade en salle aux Houches, dehors il tombe des cordes.

Et pour la suite, que faire ? Un crĂ©neau de beau temps est annoncĂ© pour vendredi matin, avant le retour des nuages et prĂ©cipitations. La journĂ©e de samedi devrait ĂȘtre douce sous un voile nuageux. Ajoutons Ă  celĂ  que pour m’adapter au niveau de ski du groupe, je n’ai le choix que d’itinĂ©raires peu raides Ă  la descente, et maximum 1200m D+. Quel programme proposer ?! Je dĂ©cide d’opter pour un itinĂ©raire classique, loin d’ĂȘtre un secteur secret : Deux jours dans la vallĂ©e Blanche…

Avec les ingrĂ©dients que j’ai Ă  ma disposition, j’essaye de rĂ©inventer la recette pour en faire une expĂ©rience originale, immersive. Depuis quelques temps dĂ©jĂ  me trottait l’idĂ©e Ă©trange de la remonter, pour la skier ensuite, plutĂŽt que d’arriver dans la cohue de la benne. Mais la perspective de remonter Ă  contre-courant des vagues de skieurs m’avait jusque lĂ  toujours rebutĂ©. Cette fois, en faisant preuve « d’opportunisme Ă©clairé », je me rends compte que les astres semblent alignĂ©s pour rĂ©aliser ce petit projet.

Le refuge est non-gardĂ©, les gardiens sont redescendus cette semaine. C’est une aubaine pour vivre une vĂ©ritable expĂ©rience montagne. Nous voici donc partis avec quelques lyophlisĂ©s, un rĂ©chaud, ce n’est pas grand chose mais notre sortie prend des airs de petite aventure ! Nous prenons le premier train du Montenvers, mettons pied sur la mer de Glace Ă  11h, et chaussons les skis 30mn de portage plus tard. Le ciel est dĂ©gagĂ©, il n’y a quasi personne, nous entrons dans le massif par le bas, comme les pionniers, dĂ©couvrant les Grandes Jorasses, l’aiguille du Tacul, la Dent du GĂ©ant. Marie et Claude qui ne connaissent pas en prennent plein les yeux.

Nous remontons le glacier dans le fracas permanent d’Ă©boulements rocheux, des blocs de toute taille se dĂ©crochent des moraines latĂ©rales pour venir s’Ă©craser des centaines de mĂštre plus bas, entrainant dans leur chute toute une suite de rochers, pavĂ©s et poussiĂšres. Il fait chaud et le ciel commence Ă  se couvrir par le bas. Les nuages remontent et nous recouvvrent alors que nous atteignons la salle Ă  manger. De nombreuses coulĂ©es de neige ont dĂ©valĂ© les pentes sud de l’envers des Aiguilles. AprĂšs avoir traversĂ© dans le brouillard les pentes raides qui surplombent de petites barres, nous sommes soulagĂ©s d’atteindre le refuge. Il est 14h, et nous passons l’aprĂšs-midi Ă  nous occuper en rĂ©cupĂ©rant de l’eau aux fondoirs solaires, en chauffant et buvant des litres de thĂ© dans le dortoir Ă  5°, en allant chercher de la chaleur emmitouflĂ©s dans les couettes.

Au rĂ©veil le lendemain Ă  5h, la mĂ©tĂ©o a tenu sa promesse. Les Ă©toiles brillent dans le ciel dĂ©gagĂ©. La nuit a Ă©tĂ© fraĂźche, le regel est bon. AprĂšs avoir fait fondre de la neige, nous remplissons les thermos, puis quittons notre cher refuge. Quelle chance nous avons eu de l’avoir pour nous seuls, lui qui est assiĂ©gĂ© en journĂ©e tout l’hiver !

Nous repartons dans les lumiĂšres naissantes. Ce matin la montagne est en feu. Des voluptes de nuages fins brĂ»lent et rougeoient sur les sommets des Courtes et des Droites. Face Ă  nous, le Mont Blanc du Tacul et le Grand Capucin s’illuminent aux premiers rayons du soleil. Il y a beaucoup de neige en altitude, les crevasses sont bien bouchĂ©es, quasi invisibles, les reliefs ont Ă©tĂ© lissĂ©s par le vent. EncordĂ©s, nous contournons le Gros Rognon par le glacier du GĂ©ant. Nous ne croisons personne. Seule une trace part vers le col d’EntrĂšve, et une cordĂ©e est au pied des goulottes du Tacul. Au col du Gros Rognon, les premiers skieurs qui sortent de la benne nous passent Ă  cĂŽtĂ©. Nous arrivons sur l’arĂȘte Midi Plan aux alentours de 10h, suffisament dĂ©calĂ©s vers le dĂ©collage parapente pour ne pas ĂȘtre au milieu de la foule.

Le flot de skieurs grĂ©gaires s’engouffre dans la « VallĂ©e Blanche classique », tandis que nous poursuivons notre expĂ©rience solitaire par la descente de la « Vraie VallĂ©e ». Nous finissons ces 5 jours compliquĂ©s sur de belles images, et c’est ce qui sauve notre sĂ©jour, avec le sentiment d’avoir vĂ©cu quelque chose d’unique.

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