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Photo du rédacteurBaptiste Locatelli

Chapitre 3 - Arrivée à Cuzco

Dernière mise à jour : 15 déc. 2022

Le trajet en bus a été difficile. Nous sommes partis à 22h de Nazca, donc de nuit sans pouvoir voir le paysage. Le bus tourne, accélère et klaxonne, semble parfois doubler, difficile de savoir si la route que nous empruntons est de terre ou de goudron. L''idée que nous sommes en train de monter vers les hauts plateaux et donc peut être de longer de hauts précipices dans ce bolide qui tremble à chaque relief m'inquiète surprenamment. Je peine à trouver le sommeil, en essayant d'évacuer cette idée. À 2h je m'éveille, aucune lumière de phares ou de lampadaires à l'horizon, nous devons être en train de remonter les plateaux désertiques. 4h30, le jour commence à percer et je cherche à m'orienter. Sans réseau, la carte n'apparaît pas sur mon téléphone et le GPS n'indique qu'un point flou au milieu du Pérou. Mais à ma respiration plus difficile, je reconnais les effets de l'altitude. De légers maux de têtes, un sentiment d'apnée, nous devons être près de 4000m. Béatrice souffre d'un léger mal des montagnes. Nous entamons une longue descente au fond d'une vallée étroite, et bientôt retrouvons des altitudes plus agréables pour nous qui ne sommes pas encore acclimatés. Au-dessus de nous, de hautes falaises ocres au rocher douteux se dressent, donnent envie d'enfin sortir notre corde et nos chaussons. Nous traversons de petits villages, le contraste est saisissant. Fini la saleté des villes du désert, les bâtiments non-finis, les détritus de partout, la misère urbaine. Ici les gens vivent sûrement de rien, et pourtant dans de bien meilleures conditions. Les maisons de paysans sont colorées avec de jolis toits, ont de petits jardins. Tout près coule le torrent et de l'autre côté, un âne et un buffle paissent dans de l'herbe. Nous arrivons au fond de la vallée et en remontons une nouvelle à droite, en passant par Abancay.

En roulant vers Cuzco, j'observe par la fenêtre des paysans travaillant dans leur champs, le dos voûté sous le soleil, arrachant des herbes. À leurs côtés, deux ânes et un buffle. La terre autour a été brûlée pour accélérer le travail de dégagement de la parcelle. Le feu s'est étendu plus loin, et au fond de la vallée les plantes calcinés sur la terre noire contrastent avec les tons jaunes orangés des champs de maïs.

Sur le bord de la route, des habitations aux murs en parpaings apparents. Entre deux d'entre elles une structure métallique avec un toit de tôle a été construite, créant une terrasse ombragée. Sous les tôles la table a été dressée, une dizaine de personnes mangent et se retournent pour regarder passer le bus. Quelques centaines de mètres plus loin, deux femmes sont assises au sol sous un arbre. Elles portent le chapeau et ont deux tresses noires qui leur tombent sur les épaules. Elles préparent des herbes et prennent leur repas en même temps.

Ici l'habitat est très dispersé dans les champs, pas organisé en hameaux ou villages comme dans les Alpes. Plein de petites maisons, parfois regroupées à deux ou trois, sont éparpillées au milieu des parcelles. Plus bas en vallée, ce sont à l'inverse de petits bourgs, contrairement à ce que laisse imaginer la simple lecture de carte. Comme partout au Pérou depuis le début du voyage, de nombreux immeubles et maisons sont en cours de construction. Les façades sont rarement finies, il manque des fenêtres aux ouvertures. Seule différence par rapport au désert, les toits ici sont construits et donnent une meilleure impression. Dans le désert, ne recevant jamais de pluie de l'année (1h maximum cumulé !), les maisons semblent en construction perpétuelle. Les familles commencent par acheter une parcelle de terrain, puis élève de premiers murs en briques, et progressivement au cours de leur vie vont lentement continuer la construction, en laissant toujours le dernier étage pour un futur agrandissement. N'ayant pas les moyens de se concentrer sur l'aspect décoratif, les matériaux de construction déjà pauvres sont laissés à nu et accentuent l'impression de misère et de pauvreté. Pourtant ceux qui sont propriétaires sont en réalité bien lotis. Certains sont simplement locataires de ces bicoques. Seules les maisons des plus nantis peuvent se permettre d'avoir une façade bien finie, des marches en marbre, un portail vitré donnant sur l'entrée, et bien entendu des clôtures électrifiées en haut des murs et des caméras de vidéosurveillance aux quatre coins.


En passant le village de Curahuasi, j'entrevois de l'autre côté de la vallée, entre les nuages, le premier haut sommet du voyage. C'est probablement le Kiswar, 5771m. Nous poursuivons la descente, la vallée s'élargit. En passant Marcahuasi et Mollepatta nous laissons sur notre gauche le départ du trek Salkantay. Puis à Ancahuasi la vallée s’élargit, nous atteignons un haut plateau à 3500m où se trouve la petite ville d'Anta. Nous la traversons, elle est très animée. Beaucoup de femmes portant les tresses et le chapeau, une jupe par-dessus un collant et quelques pulls surmontés d'un gilet traversent la rue en portant des baluchons aux motifs multicolores. Les taxis trois roues slaloment entre les voitures et les bus, les klaxonnent retentissent, la rue principale ressemble à une 2x2 voies où tout le monde se double de manière chaotique en usant de la loi du plus fort, mais nous parvenons par miracle à ne heurter aucun véhicule ni piéton. À la sortie de la ville, des centaines de personnes convergent vers une place où se tient un défilé. Nous sommes le 18 novembre, jour de célébration de la révolution.

De ce que j'ai étudié des cartes, Cuzco se situe au fond d'une large vallée à 3300m, entre des collines aux pentes douces atteignant 4200m. Sa population est estimée à plus de trois-cents mille habitants. Sachant cela, l'arrivée est tout de même un choc. Nous venons de quitter les montagnes avec ses hameaux et villages, reliefs et champs pleins de promesses, et voilà que nous retrouvons .... J'essaye de me convaincre que les abords et la banlieue ne sont peut être pas représentatifs du centre, mais je ressens de la déception. Là aussi l'explosion démographique et l'exode rural ont fait des dégâts. Plutôt que nichée au fond de la vallée, la ville en déborde. Une grande arche "Bienvenido a Cuzco" nous accueille alors que nous sommes encore dans la montée vers le col. Autour de nous, de nouveaux ces bâtiments en moellons et briques inachevés, des détritus en vrac, et partout des affiches clinquantes pour annoncer son petit commerce : épicerie, droguerie, mercerie, polleria et autres boui-boui. Nous franchissons le col et faisons face au bassin de Cuzco. Sur les flancs des montagnes, l'habitat désordonné a grimpé et s'est hissé de manière anarchique en quête de place. On voit bien que les routes sont même en retard sur les constructions spontanées. Les pouvoirs publics n'ont sûrement pas la possibilité d'organiser un plan d'urbanisme, et n'en sont probablement pas capables par manque de finance. Les habitants de ces quasi-favellas ne peuvent certainement pas payer d'impôts locaux.

Petite parenthèse, j'espère ne pas transmettre trop de négativité par ces paragraphes qui ne traduisent pas, en effet, un immense enthousiasme pour ces villes et banlieues. N'y voyez non plus aucune forme de jugement pour leurs habitants. Je vois les choses au travers de mon prisme, à savoir celui d'un gars des montagnes qui passe une majeur partie de son temps sur les crêtes, dans les alpages ou les forêts, jamais sorti d'Europe, et qui apprécie de moins en moins la ville, hormis pour les vieilles pierres. Je suis extrêmement sensible à la présence d'un jardin, d'un arbre, de fleurs, d'une fontaine dans un paysage urbain. Ici leur absence combinée à l'omniprésence de barres de fer, bétons et briques, poussière et saleté, met mon moral à rude épreuve.

Heureusement, après avoir attrapé un vol un taxi à la sortie du bus, nous nous rendons rapidement compte que la périphérie de Cuzco par laquelle nous sommes arrivés n'est pas du tout représentative de la partie historique où se trouve notre auberge de jeunesse. Après avoir posé nos sacs, nous nous baladons dans le centre au style colonial. Nous traversons les rues pavées, murs de pierre massive, grandes églises et arches de passage monumentales vers de grandes places où les Cuzquenos se reposent sous l'ombre des arbres face à des fontaines.

Après dix-huit heures assis dans le bus, malgré la fatigue et les effets ressentis de l'altitude, à rebours des préconisations pour l'acclimatation, je me botte les fesses pars pour une montée intense depuis le centre vers les hauteurs de la ville. J'aimerais repérer le site d'escalade que j'ai trouvé à 3900m. Je quitte l'auberge en courant et remonte les raides ruelles pavées. Je crache mes poumons, subis le manque d'oxygène et goûte le sang au fond de la gorge. La montée des marches pour sortir de la vieille ville en direction du temple Inca Saqsaywaman me cueille à froid, c'est dur mais j'aime ça. Arrivé sur un replat, j'en profite pour reprendre mon souffle et regarder autour. Devant moi court une petite fille de six ans, qui cherche à rattraper sa mère au retour de l'école. Rien d'anormal, cela arriverait aussi chez nous en France, mais le contraste est fort ! C'est bien la première fois que je suis à fond pour être au même rythme qu'une écolière. Je m'amuse de la situation, me concentre sur mes baskets et repars en trottinant.

En sortant de Cuzco, je suis immédiatement plongé dans la campagne. Plus une trace de la ville, la route en terre ocre remonte entre des maisons aux murs bâtis de gros moellons de terre cuite et toits de tuiles. Coupant les lacets, un petit sentier remonte dans la forêt en longeant des habitations. Les Cuzquenos de ces hameaux rentrent chez eux, écoliers, travailleurs. Je reconnais deux paysannes habillées traditionnellement avec leurs lamas et alpagas, qu'elles exposaient plus tôt dans l'après-midi pour en tirer quelques soles contre une photo.

Sur ma gauche, provenant d'un grand hangar caché dans les arbres, j'entends les mélodies péruviennes d'un concert de musique traditionnelle. Aux flûtes, guitares et percussions se superposent les chants et cris enthousiastes des locaux qui se rassemblent à l'ombre de la forêt sous ce toit de tôle.

Le soleil se couche sur cette campagne tranquille, des chiens attendent couchés dans l'herbe au bord de la route le retour de leur maître, et les fêtent lorsqu'ils les voient arriver. Des vaches noires paissent tranquillement dans les pâturages. Tous, habitants et animaux, semblent bien surpris de voir quelqu'un courir sans raison apparente, et qui plus est un gringo ! Alors que je remonte le sentier, je croise une mère et ses deux petites filles qui rentrent de l'école. Elles ont cinq ans maximum, la plus petite porte son cartable plus large qu'elle. Je les salue et les dépasse, et à ma grande surprise les deux enfants me courent après. Je m'arrête donc, heureux de cet enthousiasme, discute un peu avec elles.

- "Te gusta correr ?"

-"Me gusta mucho l'exercicio" me répond l'aînée.

Je leur demande de m'accompagner jusqu'au sommet de la côte. Elles sont ravies, nous formons un trio et courons ensemble, je les encourage et elles rient. Moment exceptionnel que les mots ne traduisent sûrement pas assez bien.

Après les avoir quittées, je poursuis encore et trouve les falaises que la route surplombe. Je me trouve un petit monticule de pierre pour marquer le point haut de la sortie, m'arrête au sommet et profite rapidement de cet instant unique. Le soleil finit de se coucher sur les sommets herbeux de plus de 4000m derrière moi, tandis qu'en face les hauteurs de Cuzco scintillent des premières lumières des lampadaires. La nuit tombe, je ne veux tout de même pas trop tarder seul hors des sentiers battus dans ce pays que je ne connais pas, même si je n'ai ressenti que de la bienveillance chez tous ceux que j'ai croisés. Je rentre par le même chemin. Sur la route en descendant, une petite fille court et m'arrête, elle me demande si j'ai vu un alpaga. Elle est désemparée, pleure, elle y était sûrement attachée et c'est une source de revenus pour sa famille. Maintenant elle l'a perdu ou il s'est enfui. Je ne peux malheureusement pas l'aider. Je reprends ma descente et retrouve le centre animé de Cuzco par les escaliers de pierre qui forment un labyrinthe dans la vieille ville.

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