Face au mauvais temps qui s'annonce, je propose au groupe d'arriver dans le massif de l'Oberlan par le haut, pour essayer d'optimiser le cours créneau météo que nous avons. Plutôt que de perdre la journée à remonter le plat sans fin du glacier d'Aletsch, nous décidons de prendre le train depuis Brig jusqu'à Grindelwald, puis l'Eiger Express et enfin le train à crémaillère jusqu'au Jungfraujoch. Le ski est plutôt mauvais là haut, dans une neige lourde transformée par le foehn. La visibilité est moyenne, nous ne parvenons pas à atteindre le Louwitor ni le Grünhornlücke un peu plus tard dans l'après midi. C'est donc une randonnée sans point haut, une promenade de découverte des immenses glaciers de l'Oberland. La visibilité est réduite, les couleurs ternes et grises, l'ambiance glauque quasi déprimante. Mais nous avons tout de même pu avoir un aperçu de la grandeur de ce massif. Nous finissons la journée par ces escaliers raides, jusqu'au Konkordiahütte.
La journée de mercredi encore annoncée correcte le matin deux jours plus tôt, a évolué vers une prévision au mauvais mardi soir. La fuite du massif s'est donc imposée à nous, avec encore deux options. La première via le Lötschenlücke pour descendre sur Blatten, à l'ouest, et se donner l'impression d'avoir fait a minima une micro-traversée au plus simple de l'ouest du massif. La seconde, le plan de secours, descendre le glacier d'Aletsch (plus long glacier d'Europe !), traverser un tunnel à l'entrée enfouie sous la neige, sortir versant Fiescheralp, puis descendre en vallée par les bennes. Au réveil à 5h, pensant encore pouvoir exploiter un hypothétique créneau matinal de beau temps, nous découvrons au contraire les montagnes prises dans la poisse, un fort vent qui souffle et de la neige qui tombe. Au loin le Lötschenlücke a disparu dans les nuages. Nous optons sans objection ni doutes pour le plan de retraite par Fiescheralp. Après 7 kilomètres d'ultra plat, nous sortons du glacier, remontons un peu un vallon et trouvons le trou de marmotte qui donne accès à la porte enfouie du tunnel. Un kilomètre de marche sous terre à la frontale, et nous voilà de l'autre côté. Encore un peu de peau à plat pour rejoindre Fiescheralp, où nous trouvons malheureusement les remontées fermées et le village-station fantôme ! Nous continuons donc notre traversée des balcons jusqu'à Bettmeralp où nous retrouvons la vie humaine, et une remontée mécanique en fonctionnement pour rejoindre la vallée. Liaison benne-train immédiate et nous voilà de retour à Brig. Nous poursuivons notre fuite en allant se réfugier à Chamonix, où nous allons tâcher de sauver la fin de semaine.
" Et encore mille fois merci, d’avoir sauvé notre balade. "
C'est sur ce dernier message reçu que je peux reprendre la plume concernant les derniers jours de notre raid dans l'Oberland. Ou plutôt ce qu'il en restait ! Souvenez-vous, au chapitre précédent, nous fuyions le massif par le bas en redescendant le glacier d'Aletsch. Mardi soir, nous arrivions dans un Chamonix gris, pris par la pluie.
Nous banalisons la journée de jeudi, bien trop mauvaise pour imaginer s'aventurer en montagne. J'occupe le temps libre de la matinée par une séance collective d'escalade en salle aux Houches, dehors il tombe des cordes.
Et pour la suite, que faire ? Un créneau de beau temps est annoncé pour vendredi matin, avant le retour des nuages et précipitations. La journée de samedi devrait être douce sous un voile nuageux. Ajoutons à celà que pour m'adapter au niveau de ski du groupe, je n'ai le choix que d'itinéraires peu raides à la descente, et maximum 1200m D+. Quel programme proposer ?! Je décide d'opter pour un itinéraire classique, loin d'être un secteur secret : Deux jours dans la vallée Blanche...
Avec les ingrédients que j'ai à ma disposition, j'essaye de réinventer la recette pour en faire une expérience originale, immersive. Depuis quelques temps déjà me trottait l'idée étrange de la remonter, pour la skier ensuite, plutôt que d'arriver dans la cohue de la benne. Mais la perspective de remonter à contre-courant des vagues de skieurs m'avait jusque là toujours rebuté. Cette fois, en faisant preuve "d'opportunisme éclairé", je me rends compte que les astres semblent alignés pour réaliser ce petit projet.
Le refuge est non-gardé, les gardiens sont redescendus cette semaine. C'est une aubaine pour vivre une véritable expérience montagne. Nous voici donc partis avec quelques lyophlisés, un réchaud, ce n'est pas grand chose mais notre sortie prend des airs de petite aventure ! Nous prenons le premier train du Montenvers, mettons pied sur la mer de Glace à 11h, et chaussons les skis 30mn de portage plus tard. Le ciel est dégagé, il n'y a quasi personne, nous entrons dans le massif par le bas, comme les pionniers, découvrant les Grandes Jorasses, l'aiguille du Tacul, la Dent du Géant. Marie et Claude qui ne connaissent pas en prennent plein les yeux.
Nous remontons le glacier dans le fracas permanent d'éboulements rocheux, des blocs de toute taille se décrochent des moraines latérales pour venir s'écraser des centaines de mètre plus bas, entrainant dans leur chute toute une suite de rochers, pavés et poussières. Il fait chaud et le ciel commence à se couvrir par le bas. Les nuages remontent et nous recouvvrent alors que nous atteignons la salle à manger. De nombreuses coulées de neige ont dévalé les pentes sud de l'envers des Aiguilles. Après avoir traversé dans le brouillard les pentes raides qui surplombent de petites barres, nous sommes soulagés d'atteindre le refuge. Il est 14h, et nous passons l'après-midi à nous occuper en récupérant de l'eau aux fondoirs solaires, en chauffant et buvant des litres de thé dans le dortoir à 5°, en allant chercher de la chaleur emmitouflés dans les couettes.
Au réveil le lendemain à 5h, la météo a tenu sa promesse. Les étoiles brillent dans le ciel dégagé. La nuit a été fraîche, le regel est bon. Après avoir fait fondre de la neige, nous remplissons les thermos, puis quittons notre cher refuge. Quelle chance nous avons eu de l'avoir pour nous seuls, lui qui est assiégé en journée tout l'hiver !
Nous repartons dans les lumières naissantes. Ce matin la montagne est en feu. Des voluptes de nuages fins brûlent et rougeoient sur les sommets des Courtes et des Droites. Face à nous, le Mont Blanc du Tacul et le Grand Capucin s'illuminent aux premiers rayons du soleil. Il y a beaucoup de neige en altitude, les crevasses sont bien bouchées, quasi invisibles, les reliefs ont été lissés par le vent. Encordés, nous contournons le Gros Rognon par le glacier du Géant. Nous ne croisons personne. Seule une trace part vers le col d'Entrève, et une cordée est au pied des goulottes du Tacul. Au col du Gros Rognon, les premiers skieurs qui sortent de la benne nous passent à côté. Nous arrivons sur l'arête Midi Plan aux alentours de 10h, suffisament décalés vers le décollage parapente pour ne pas être au milieu de la foule.
Le flot de skieurs grégaires s'engouffre dans la "Vallée Blanche classique", tandis que nous poursuivons notre expérience solitaire par la descente de la "Vraie Vallée". Nous finissons ces 5 jours compliqués sur de belles images, et c'est ce qui sauve notre séjour, avec le sentiment d'avoir vécu quelque chose d'unique.
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